JEANNE BENAMEUR
Ceux qui partent
Éditions Actes Sud (août 2019)
"J'ai eu envie dans ce texte de m'approcher au plus près de ce qui doit basculer chez un être humain quand il doit quitter tous ses repères ?" Jeanne Benameur
UN REGARD NEUF POUR UNE VIE NOUVELLE
Résumé :
1910 : Ellis Island aux portes de New York ; le rêve américain est à portée de main ou pas…
Un cargo débarque et nous allons suivre pendant un jour et une nuit une poignée de personnages migrants venus d'Europe, en attente de leur billet d'entrée pour les États-Unis.
Dans cet espace entre deux mondes, ils n'auront plus de repères, en particulier celui de leur langue maternelle ; ce moment entre parenthèses leur permettra peut-être de vivre des moments qu'ils ne se seraient pas autorisés par le passé et qui ne sauraient exister dans leur futur.
Vous croiserez Donato et sa fille Emilia, lettrés et érudits italiens : le père se réfugiera dans les textes anciens, et la fille, peintre, dans l'éveil des sens dans les bras d'un homme qui lui serait normalement interdit.
Gabor, l'homme de la route qui veut fuir son clan, musicien violoniste, gitan qui voudra tout quitter pour Emilia et qui sera, pour celle-ci, le chemin qui lui permettra d'accepter le passage de l'ancien au nouveau monde.
Esther, l'Arménienne dont toute la famille a été exterminée, rêve d'inventer les nouvelles tenues des libres Américaines, retrouvera le verbe grâce à Emilia.
Hazel la prostituée qui prépare obstinément son changement d'existence devra renoncer à l'homme qu'elle aime, Gabor.
En face d'eux, Andrew, New-Yorkais depuis plusieurs générations, photographe, sera le miroir de leurs désespoirs et de leur passé et, tel un révélateur, réussira par le prisme de son appareil photo à capter ce qu'il n'aura pas pu vivre, ce qui le relie à ses ancêtres, et il leur ouvrira de son côté l'acceptation enfin du passage vers le nouveau monde.
Tous leurs doutes, leurs peurs, leurs fêlures, leurs aspirations vont se croiser, se choquer, s'entrechoquer, se frôler, se caresser pendant un jour et une nuit dans ce no man's land et cet espace-temps suspendu charnel et incandescent.
Dans un style d'une sensualité et d'une densité inouïes, entre prose et poésie, Jeanne Benameur, nous parle d'elle.
Elle est en effet née en Algérie et a émigré en France, à l'âge de cinq ans et demi, avec sa famille en raison des violences liées à la guerre d'Algérie.
Le silence, le passage d'un monde à l'autre trouveront refuge dans la passion amoureuse ou la passion artistique ; que ce soit la photographie, la littérature, la peinture, la musique : quels beaux remèdes au silence.
C'est un texte magnifique, lumineux et bouleversant
Merci à Jeanne, Françoise N. et Bénédicte M.
Extraits :
"La douleur qui n'est pas écrite n'a pas de forme, elle peut envahir tout l'air et on peut en être envahi simplement en respirant."
"Il sait que la parole est contenue face aux étrangers, que chacun se blottit encore dans sa langue maternelle comme dans le premier vêtement du monde. La peau est livrée au ciel nouveau, à l’air nouveau. La parole on la préserve."
"Son aliment contre la monotonie des jours d’enfance c’était les textes des anciens. Il avait appris à lire comme on se jette à l’eau, d’un coup, de tout son être, avec l’appétit de ceux qui savent que c’est là et seulement là qu’ils trouveront leur vie."
"Le violon joue et la musique vient les chercher. Oh juste se laisser porter d’une émotion à l’autre, voyager. Esther a levé la tête. Le violon ici, c’est la vie soudain qui essaie de se frayer un chemin. Le violon dit qu’émigrer c’est espérer encore.
Avec vaillance.
Avec la force de ceux qui n’ont plus rien que leur désir.
Le violon dit que le désir est tout. Tout. Et qu’avec le désir on peut vivre…"
"On ne peut pas raconter la puissance de la musique mais on peut la voir éclairer les corps épuisés. Gabor réveille l’ardeur et il joue sans s’arrêter"