LITTÉRATURE FRANÇAISE

LITTÉRATURE FRANÇAISE

ANNE-MARIE GARAT
La Nuit atlantique
Éditions Actes Sud (février 2020)

Anne-Marie Garat est une grande prêtresse de la littérature française ; l’auteure de l’envoûtante et exceptionnelle trilogie Dans la main du diable, L’Enfant des ténèbres et Pense à demain, que je vous recommande de lire séance tenante (cliquez ici) : une trilogie romanesque, une fresque épique et familiale de presque 3000 pages qui embrasse le destin d’une jeune femme depuis les années 1930 jusqu'à l’orée de mai 1968, nous revient avec La Nuit atlantique pour notre plus grand bonheur de lecteur.

Hélène 36 ans, archiviste célibataire et sans enfant, fuit l’automne parisien pour se rendre en gironde où elle a acheté, 10 ans auparavant, une maison isolée dans les dunes sur la côte atlantique. Elle souhaite la vendre de toute urgence.
Mais le destin va en décider autrement.
Dès son arrivée à la villa où tout est poussiéreux et vétuste, Hélène s'aperçoit qu'elle est habitée et squattée par un photographe nippo-canadien à la recherche de paysages d’autrefois sur cette côte de blockhaus.
Puis c'est au tour de Bambi, sa filleule, d'apparaître avec la volonté d’arrêter ses études de médecine.
Et enfin Tomaso, fils d’un voisin, géologiste de son état, qui la trouble terriblement.
Ces rencontres fortuites entre ces personnages vont faire remonter les démons du passé.

L'auteure a une imagination fertile et une fois de plus, nous envoûte avec une grâce infinie dans un tourbillon amoureux, passionnel et charnel.

Alors qu’Hélène pense faire le ménage dans son existence, ces rencontres vont être le début d’une aventure, où la nature et les paysages bouleversés vont nourrir l'intensité de la remontée des souvenirs et de la mémoire.

Anne-Marie Garat utilise toutes les formes de la fiction pour nous embarquer. Soulignons la beauté exceptionnelle de sa langue extrêmement riche et poétique. Chaque page est d'une poésie et d'une écriture ciselées : elle nous parle de la complexité des sentiments, de la beauté féroce d’un monde toujours mystérieux, de passion, d'amour charnel et spirituel porté au plus haut à l’incandescence.

La romancière rend hommage à la puissance de la fiction qui a fondé chez elle la fascination pour la puissance de l’intrigue du récit, des enchevêtrements à multiples niveaux.

Une langue riche, débridée, précise, gourmande ; un talent redoutable de conteuse et une fine observatrice de notre époque.

"Un roman sensible, fin et plein d'humour sur la magie des lieux et la géographie des êtres. Un roman qui alerte aussi sur la fragilité de nos paysages, sans cesse menacés par la folie des hommes."

Une vraie jouissance de lecture à la prose envoutante et mystérieuse.

ANNE-MARIE GARAT - TRILOGIE   

Ces trois livres retracent avec minutie et surtout tout plein de détails et de digressions la vie de trois héroïnes, la mère Gabrielle, la fille, Millie et enfin la petite fille, Christine qui vont se battre toutes les trois pour vivre pleinement leur amour avec en toile de fond la Grande Guerre pour la première, la Seconde Guerre Mondiale pour la seconde et l’explosion sociale de 1953 pour la troisième.
Dans la main du diable
Éditions Actes Sud (2006)

Nous sommes en 1913 et nous faisons la connaissance de Gabrielle, jeune hongroise élevée par sa Tante Agota à Paris dans un petit appartement de la rue Buffon. Amoureuse de son cousin Endre depuis sa tendre enfance, elle va, à l’annonce de sa disparition par les autorités françaises, chercher la vérité. Cette quête va nous entraîner en Birmanie, colonie française, où est mort Endre, jeune médecin chercheur. Gabrielle va remonter toutes les pistes possibles et nous permettre de nous plonger dans l’atmosphère de l’Europe coloniale à un an de la déclaration de guerre. Gabrielle ne va pas hésiter, ensuite, à entrer au service, en tant que perceptrice, de la famille Galay, prototype de la famille bourgeoise industrieuse de ces années-là, car le fils François Galay en tant que grand chercheur de l’Institut Pasteur a connu lui aussi la Birmanie. Elle y découvrira son amour et sa fille adoptive Millie.

L'Enfant des ténèbres
Éditions Actes Sud (2008)

Nous sommes en 1939 et nous retrouvons la Millie devenue jeune fille et habitant à son tour le petit appartement parisien de la rue Buffon. La Grande Guerre est passée et nous allons, petit à petit, en connaître les méfaits en apprenant la suite de la vie de Gabrielle par les souvenirs de sa fille. Millie, élevée aux États-Unis, a vécu un amour de jeunesse avec un jeune photographe, mort d’un accident de voiture, et cherche à s’émanciper de la famille Galay en travaillant en tant qu’ouvrière dans la grande Biscuiterie dirigée d’une main de fer par sa grand-mère. Elle y rencontre Simon Lewenthal, directeur de l’usine qui deviendra son mari. Elle milite avec son amie Magda, amie d’enfance Hongroise, pour l’émancipation des travailleurs et part à Berlin pour soutenir leur cause. Nous nous rendrons compte, avec elle, de l’inéducable emprise de la pensée fasciste dans cette vieille Europe qui refuse le Socialisme par peur de l’internationalisme.

Pense à demain
Éditions Actes Sud (2010)

Nous sommes en 1953, c’est la troisième génération qui prend le relai. Gabrielle est grand-mère dans la lointaine Amérique, Millie est une veuve éplorée et inconsolable protégée par son ami Louvain, agent spécial rencontré avant-guerre et Christine, sa fille, va vivre à son tour dans le petit appartement de la rue Buffon.
Nous allons suivre le chemin qui va la mener vers Antoine, son futur mari, guidée par tous les amis et connaissances de sa famille et surtout de sa mère et découvrir du même coup la France d’après-guerre avec le mélange social et l’arrivée en masse des populations immigrantes. La France des années 50/60 ; les cités dortoirs, les migrants, la disparition d’un certain ordre bourgeois, les derniers règlements de compte de cette guerre horrible et enfin la montée de la Guerre Froide qui va diviser l’Europe en deux.

JÉRÔME GARCIN
Le dernier hiver du Cid
Éditions Gallimard (octobre 2019)

"Quelle pensée s'impose souvent à vous ?
L'urgence des choses que je dois faire.
Qu'est-ce qui vous étonne dans la vie ?
Sa brièveté." 
Gérard Philipe 
 
Cela fera 60 ans le 25 novembre 2019 que Gérard Philipe nous quittait à l'âge de 36 ans, emporté par un cancer foudroyant. Comédien emblématique d'après guerre, il aura en 15 ans tourné dans 34 films et joué plus de 100 pièces de théâtre. 
Jérôme Garcin, époux d'Anne-Marie Philipe, fille d'Anne et de Gérard, nous narre avec une pudeur infinie et sans pathos aucun, les six derniers mois de sa vie, du dernier été à Ramatuelle au dernier hiver parisien, semaine après semaine, jour après jour et nous raconte ce destin cruel, scandaleux et tragique.
Pensant se faire opérer pour un abcès amibien du foie on lui découvrira un cancer qui ne lui donnait que quelques semaines à vivre.
Sa femme Anne ayant pris la décision de lui cacher la vérité, il croit avoir la vie devant lui et bâtit des projets, annote encore des tragédies grecques, rêve d'incarner Hamlet et se prépare à devenir, au cinéma, le Edmond Dantès du Comte de Monte-Cristo

Quelle œuvre délicate et élégante nous livre donc ici Jérôme Garcin toute de pudeur, de réserve et de respect infinis en particulier à l’endroit de son épouse Anne-Marie !

L'auteur nous parle de la maladie foudroyante de cet acteur flamboyant, qui n’aurait jamais dû le faucher dans toute sa beauté, dans toute l'intrépidité de ses jeunes années, et l' histoire d’amour fou au titre duquel sa femme Anne, décida de ne pas lui parler de sa maladie pour que le futur dans son esprit puisse exister.
Mais c'est aussi une déclaration d'amour et de respect à l'endroit de son épouse que l'auteur délivre. Et c'est ce qui fait en partie toute la beauté de ce livre.
Il exprime d'ailleurs que sans l'autorisation de son épouse, ce livre n'aurait jamais pu exister.

Que l'on connaisse ou pas Gérard Philipe, Jérôme Garcin avec ce requiem d'une beauté inouïe, nous délivre une histoire d'amour magnifique entre une femme discrète et un être de lumière, solaire, ardant et flamboyant et fait revivre pour nous cet acteur au visage éternellement jeune.

N'hésitez pas à lire ou relire le bouleversant hommage d'Anne à son époux dans Le Temps d'un soupir.
"Dans l'afflux de souvenirs où les heures cruelles qui ont précédé la mort de Gérard Philipe, se mêlent aux temps heureux d'avant la maladie, le récit vibrant de tendresse d'Anne Philipe prend l'ampleur d'une méditation sur la mort, sur l'amour, sur le bonheur."

ALEXIS RAGOUGNEAU
Opus 77
Éditions Viviane Hamy (septembre 2019)

Magistralement orchestré !

C'est toute une vie de musique qui aura soudé et déchiré la famille Claessens, qu'Alexis Ragougneau (Niels / Évangile pour un gueux) nous propose.

Nous sommes dans la famille Claessens, la fille Ariane narratrice flamboyante, pianiste virtuose internationalement reconnue et idolâtrée, nous délivre l’histoire de sa famille magnifique et dysfonctionnelle.

Le père tout d’abord, pianiste soliste mondialement connu, puis chef de l'Orchestre de la Suisse Romande, despote, destructeur et diabolique dans la toute-puissance abîmera et détruira toute sa famille.
La mère Yael, soprano jadis brillante, a sombré dans la dépression et dans la folie.
Le fils, David, violoniste brillant se retirera reclus en ermite à l’âge de 18 ans dans un bunker.

Le livre s’ouvre sur l’enterrement du père ; Ariane doit lui rendre un dernier hommage mais n’interprétera pas la marche funèbre traditionnellement attendue mais le concerto pour violon n° 1 en la mineur Opus 77 de Chostakovitch.

Pour ne pas déflorer l’histoire dramatique mais somptueuse de cette famille anéantie, je ne vais pas rentrer dans les détails ; sachez que le concerto pour violon n° 1 en la mineur Opus 77 est la clé et le personnage principal de ce livre crépusculaire, bouleversant, tendu comme un arc et rythmé par les notes de la musique avec un souffle exceptionnel.
Chaque partie représente l'articulation de l'Opus 77 (Nocturne ; Scherzo ; Passacaille ; Cadence ; Burlesque).

Roman noir, roman de la passion absolue, roman psychologique d’une écriture sublimée, tout y est pour en faire un grand livre, un merveilleux moment de lecture et d'écoute musicale. Quel talent !

HÉLÈNE GAUDY
Un monde sans rivage
Éditions Actes Sud (août 2019)

UN VOYAGE MAGNIFIQUE. 
UN NORD MAGNÉTIQUE ET FRAGILE.

En 1897 l’expédition Andrée part en ballon découvrir le pôle Nord.
Ils sont trois : Salomon Auguste Andrée, Knut Frænkel, Niels Strinberg.
Ils sont aventuriers, scientifiques et ne reviendront jamais vivants de cette expédition. Avalés par le grand blanc ils entreront ainsi dans la légende suédoise dont certains scientifiques cherchent à percer le mystère encore aujourd'hui.

C'est au cours de l'été 1930 que des chasseurs de morses vont découvrir leurs restes : des ossements, un journal et des pellicules encore utilisables, qui donneront ainsi quelques clés de leurs aventures post mortem.

"À partir des photographies au noir et blanc lunaire et du journal de bord de l’expédition, Hélène Gaudy imagine la grande aventure d’un envol et d’une errance. Ces trois hommes seuls sur la banquise, très moyennement préparés, ballottés par un paysage mobile, tenaillés jusqu’à l’absurde par la joie de la découverte et l’ambition de la postérité, incarnent l’insatiable curiosité humaine qui pousse à parcourir, décrire, circonscrire et finalement rétrécir le monde." 

Hélène Gaudy (Plein hiver / Une île une forteresse) nous raconte avec passion, une prouesse et son échec en utilisant pour ce faire de multiples supports narratifs (extrait du journal d’Andrée, les voyages d'Anna, le récit de l’expédition).
L’auteur se sert de cette histoire mystérieuse et magnifique pour poser une loupe grossissante sur d’autres explorations du Pôle Nord en cherchant les échos et les répercussions de ces échecs sur notre présence au monde.

C’est l’histoire de l’homme face à son environnement et au temps, portée par une écriture somptueuse, syncopée et hypnotique.
En explorant le destin de ces trois hommes, Héléne Gaudy nous invite petit à petit à une réflexion, tel un révélateur photographique, sur le sort de l'Homme et de la Nature. Elle nous délivre une allégorie magnifique, en témoignant ainsi de l’agonie de la planète Terre en cours avec la fonte des glaces et la désagrégation de la banquise.
Ce texte à la fois rigoureux, scientifique et élégiaque vous embarque très loin, très haut avec le ton et le regard si particuliers d’Hélène Gaudy.

Héléne Gaudy : 
"Le premier désir est venu d’une série d’images retrouvées sur l’île la plus proche du pôle Nord : trois explorateurs littéralement tombés du ciel dérivent avec la banquise. À travers l’épaisseur du temps, ils nous dévisagent. Si toute photo¬graphie est l’empreinte d’un corps traversé par la lumière, celles-ci, qui ont si longtemps séjourné dans la glace, sont aussi la trace directe, physique, d’un paysage. Elles me happent par leur présence spectrale, leurs zones d’ombre qui sont déjà le début d’un roman.
Quelque chose semble me relier à ces explo¬rateurs de la fin du xixe siècle, en quête d’un Nord magnétique et fragile, dont je ne distingue encore que les silhouettes mangées par la lumière. Il faut creuser à travers le minimum visible, faire de l’écriture un révélateur pour dévoiler peu à peu leurs visages, leurs espoirs, leurs amours et leurs mensonges, leur curiosité insatiable et leur amateurisme héroïque jusqu’à la poésie, il faut chercher les sensations communes, partager ce qui les maintient en vie, en faire des compagnons – peu à peu, des personnages. Du soleil de minuit à la complète nuit polaire, tenter d’éclairer l’énigme de leur disparition.
En suivant leur marche sur la glace, on croise d’autres tentatives d’élargir le monde au risque de se faire avaler par ses marges. Leur parcours devient une ligne de faille dont partent des embranchements multiples, qui finiront par me mener jusqu’à l’archipel du Svalbard, au seuil de ce Grand Nord qui, lui aussi, s’évanouit.
Certaines histoires poussent à partir loin avant de revenir au plus proche, au plus intime. Les traces de ces trois hommes réveillent peu à peu le manque de ceux qui partent et des lieux dont on rêve, le souvenir d’un temps où l’on croyait encore à la nécessité de l’aventure et à la permanence des paysages. Et la fascination se mue en écriture, et l’image entraîne le roman."

JEAN-PAUL DUBOIS
Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon
Éditions de l'Olivier (août 2019)

Un roman du regret et de la perte.

Jean-Paul Dubois nous enchante depuis plus de 30 ans avec des romans aux titres merveilleux et évocateurs : Kennedy et moi, l’Amérique inquiète, Une vie française couronnée par le prix Femina en 2004, Le cas Sneijder, etc.
Il nous propose aujourd’hui son 20e et dernier opus, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, dans lequel le narrateur incarcéré à Montréal se remémore sa vie.
"C’est l’histoire d’hommes de bonne volonté qui finissent par tout perdre : leurs proches, la liberté, l’honneur, leur métier, leur rôle social, le contrôle de leur vie"

Le narrateur, Paul Hansen, 44 ans, purge une peine de prison de deux ans à Montréal pour une raison que nous ne connaîtrons qu’à la fin du récit. Nous ressentons dès le début du livre qu’il n’a pas le profil d’un criminel.
Celui-ci partage sa cellule avec un Hells Angel, personnage abominable, massif et violent mais absolument irrésistible, qui s’est pris d’amitié pour lui et le protégera.
Le récit alterne avec beaucoup d’habileté, entre le quotidien carcéral et les souvenirs de Paul qui nous racontera tour à tour son enfance à Toulouse entouré d’un père pasteur danois, et d’une mère française propriétaire d’un cinéma d’art et d’essais qui en finira un soir sans explication, puis de sa vie d’adulte au Canada avec sa douce Winona, femme pilote disparue dans les airs.
  
Il sait définitivement nous raconter des histoires cet homme-là !

En alternant de façon très cadencée et rythmée le passé et le présent, il distille avec maestria une trame narrative qui nous amène de façon irrémédiable au drame. Il nous guide ainsi très subtilement et avec un vrai sens du suspense vers l'acmé, en levant le voile petit à petit sur le geste de Paul, moment où tout a basculé jusqu'à la condamnation.

Comment Paul, intendant concierge de l’Excelsior, immeuble de Montréal où il répare, débouche, entretient tout pour les résidents, est arrivé à cette issue fatale ? 

Jean-Paul Dubois avec humour et mélancolie, mélange de façon subliminale, ses souvenirs personnels, son intime, à l'histoire de ses personnages : il n’arrive pas à oublier ce qui le touche ; c’est ce qu’il appelle "la mémoire morte" : que c'est beau ! 

Ce livre magnifique vous laisse toujours entre rires et larmes devant la beauté, l’absurdité et la cruauté du monde.
Jean Paul Dubois nous offre un grand livre sur le bien et le mal.

Extrait : "Tout ce qui nous entoure n'est que vie, chaque chose à son sens et son prix, et il suffit de prêter son attention et son regard pour comprendre que nous faisons tous partie d’une gigantesque symphonie qui, chaque matin, dans une étincelante cacophonie, improvise sa survie"

SÉBASTIEN SPITZER
Le cœur battant du monde
Éditions Albin Michel (août 2019)

Point de doute cet homme-là sait nous raconter des histoires ! Sébastien Spitzer, journaliste de son état, décide à l’âge de 40 ans d’écrire un roman. C’est en s’enfermant pendant trois ans dans la salle de lecture du mémorial de la Shoah pour se documenter sur l’histoire étonnante de Magda Goebbels, qu’il trouvera l’inspiration de son précédent livre remarquable et remarqué, Ces rêves qu’on piétine, récompensé par de nombreux prix littéraires.

Pour ce second roman, imaginez donc que le jeune Sébastien Spitzer âgé d’une quinzaine d’années, entend parler par Maurice Séveno, journaliste, de l’histoire de l’enfant caché de Karl Marx avec son employé de maison ; il dédie d’ailleurs son livre à ce dernier. Il lui aura fallu plus de 25 ans pour que cette anecdote fasse son chemin et aboutisse au Cœur battant du monde : quelle récompense pour nous lecteurs !

L’auteur, comme pour son précédent ouvrage, partira d’un personnage et en laissera s’agglomérer d’autres autour de lui ; après Magda Goebbels celui-ci s’empare de Karl Marx dit "le Maure" et de Friedrich Engels. 
Nous sommes en 1860 à Londres, dans les faubourgs de la ville en pleine révolution industrielle ; la société vit de profondes mutations et pour faire revivre cette époque, deux témoins et acteurs de l’histoire en marche : Friedrich Engels et Karl Marx.

Quand s’ouvre le roman, ils sont tous deux en Angleterre, contraints à l’exil après la publication commune du manifeste du parti communiste et leur participation au soulèvement de 1848 en Allemagne. 
Friedrich Engels est à Manchester où il dirige une usine de filature familiale et Karl Marx, qu’il soutient financièrement, vit à Londres avec sa famille, marié à une aristocrate et père de trois filles légitimes ; il y poursuit l’écriture de son "œuvre monde" que deviendra Le Capital. 
Londres subit une crise économique, industrielle et sociale sans précédent ; la pauvreté est partout. Sébastien Spitzer va nous narrer le destin de Freddy, fils caché de Karl Marx abandonné, recueilli et élevé par Charlotte, jeune irlandaise qui a fuit son pays et qui fera tout pour le protéger et le sauver.

Les années passent Freddy grandit, objet de toutes les convoitises, il va chercher à percer le mystère de ses origines puis prendre les armes pour défendre les opprimés.

L’un des talents de l’auteur, et pour notre plus grand bonheur, est de mêler les péripéties de cet enfant "de personne et de nulle part" à une véritable fresque historique où les portraits de Marx et d’Engels, décrits avec maestria, sont absolument jubilatoires.

Sébastien Spitzer est un très talentueux conteur et sait nous restituer avec un souffle romanesque rare, l’ambiance d’une époque en mêlant réalité et fiction, et nous délivre ainsi un roman palpitant et passionnant. Il nous embarque au grand galop pour ne plus nous lâcher jusqu’à la dernière page.

VALENTINE GOBY
Murène
Éditions Actes Sud (août 2019)

Valentine Goby n’en est pas à son premier coup d’essai, nous l’avions remarquée notamment avec l’excellent Kinderzimmer, publié chez Actes Sud en 2013, qui a reçu le prix des libraires en 2014.
 Elle nous revient avec un livre lumineux et bouleversant, malgré la gravité de son sujet.

Nous sommes dans les Ardennes en 1956 ; c’est l’hiver, François a 22 ans ; il est beau dans la toute puissance de son âge. Un accident sur un wagon abandonné en plein hiver le laissera pour mort.
La vie l'emportera, mais à quel prix ? Privé de ses deux bras, brûlé gravement, il combattra pour se construire une autre vie.
François est mort à lui-même : c'est toute sa reconstruction et sa renaissance que nous raconte Valentine Goby. 
Rien ne nous sera épargné ; sans aucun pathos nous suivrons François dans toutes les étapes de ce chemin âpre et douloureux. Il devra tout d'abord faire face aux atroces douleurs et souffrances qui feront suite à cet accident ; puis à l'acceptation de ce corps abîmé, rétréci sans bras ; puis au regard des autres. Ayant perdu une partie de sa mémoire immédiate certains de ses proches disparaîtront de sa vie.

Sa famille, silencieuse, sans arme face à l'horreur, sera le socle sur lequel il pourra s'appuyer et en particulier sa sœur, électron libre, qui le regardera la première comme un homme à part entière et le révèlera, malgré elle, à lui-même dans sa nouvelle identité lors d'une visite d'un aquarium géant à la vue d'une murène. C’est en se rapprochant des grands blessés qu’il trouvera une échappée et que la vie lui proposera un avenir en lui ouvrant les portes du handisport et de l'amour.

Ce livre est une épreuve, mais quelle récompense : on nous parle de résilience, de courage, de désespoir, de notre capacité à dépasser les épreuves de la vie et à nous reconstruire. 

Le livre est traversé enfin d’une grande sensualité et d’une grande poésie ; c’est la cohabitation de cette écriture au scalpel, du sujet lui-même et de cette poésie incroyable qui font de ce livre un bouquin qui vous frappe au cœur !

Tous les mots, tous, sont indispensables ; pas une phrase de trop, pas un verbe qui ne soient nécessaires ; l’écriture est à fleur de peau, à l'os, à l'écorché. Ce livre âpre, d'une grande richesse est un incontournable de la rentrée littéraire : une claque, un cri de douleur et de bonheur de rencontrer un tel texte et un immense hymne à la vie.

SANTIAGO H. AMIGORENA 
Le Ghetto intérieur
Éditions P.O.L (août 2019)

Un grand coup de cœur de la rentrée littéraire.

"J’ai écrit toute ma vie pour combattre le silence qui m’étouffe depuis que je suis né" 

Cela fait plus de 20 ans que Santiago H. Amigorena, écrivain, réalisateur et scénariste d’origine argentine et vivant en France, nous parle de lui et de son silence ; pour preuve les titres de ses précédents opus : Une enfance laconique (1998), Une jeunesse aphone (2001), Une adolescence taciturne (2002). Il nous aujourd’hui un magnifique roman qui éclaire avec une infinie délicatesse et une écriture remarquable et pudique, l’histoire et l’origine de ce silence.
Il nous narre le destin de son grand-père, Vicente Rosenberg, ancien capitaine de l’armée polonaise, qui a choisi en 1928 de migrer de la Pologne vers l’Argentine, où il fera en sorte d’oublier ses origines, sa judéité, et le fait qu’il avait rêvé, un jour, d’être allemand.

Installé en Argentine, marié et père de famille de deux enfants au moment où se déclare la Seconde Guerre mondiale, Vincente n’aura de cesse de faire venir sa mère restée à Varsovie ; elle y vivra l’enfer, murée vivante dans le ghetto et finira dans les camps.

Les nouvelles devenant de plus en plus espacées, les lettres mettant de plus en plus de temps à arriver, le narrateur développera peu à peu un sentiment de culpabilité auquel il ne pourra échapper que dans le silence ; petit à petit ses mots se feront plus rares pour disparaître totalement devant l’horreur absolue de la Shoah ; au-delà des mots, la vue et tous les sens également : il ne voit plus sa famille, ses enfants, ses amis, ses clients, avançant dans la vie tel un fantôme.

La culpabilité est au centre de ce très beau livre, tout en pudeur qui alterne dans sa trame narrative les courriers de sa grand-mère, les décisions prises par l’administration nazie qui mèneront à la solution finale qu’apprendra Vincente au fur et à mesure des événements et de sa vie quotidienne à Buenos Aires.

 L'auteur explique que lui-même quand il était jeune ne parlait pas :
Sic "je dis d’ailleurs souvent qu’en arrivant en France j’ai appris à me taire dans une autre langue, après j’ai appris à chercher ma langue à moi dans la littérature ; le drame de plein de gens qui écrivent c'est qu'évidemment la littérature c’est un autre silence" 

Extrait : "Plus de mots. Plus de langues. Ni allemand, ni polonais, ni yiddish. Ni espagnol, ni argentin. Plus de noms pour rien. Ni pour la musique, ni pour le piano, ni pour la chaise, ni pour la table. Ni vitrine, ni magasin, ni rue, ni voiture, ni cheval, ni ville, ni pays, ni océan. Ni massacre. Ni douleur. Plus.De.Mots" 

Le silence, l’effacement pour oublier la honte, la culpabilité, l’indicible.

Santiago H. Amigorena trouve après 70 ans les mots et rompt le silence ; il dialogue enfin avec le monde de l'indicible et inextinguible horreur de la Shoah.

La voix qu’il rend ici à son grand-père est absolument magnifique et bouleversante. Le silence est enfin brisé par la voix de Santiago H. Amigorena. 

Quel livre !

JEANNE BENAMEUR
Ceux qui partent
Éditions Actes Sud (août 2019)

"J'ai eu envie dans ce texte de m'approcher au plus près de ce qui doit basculer chez un être humain quand il doit quitter tous ses repères ?" Jeanne Benameur

UN REGARD NEUF POUR UNE VIE NOUVELLE 

Résumé :
1910 : Ellis Island aux portes de New York ; le rêve américain est à portée de main ou pas…
Un cargo débarque et nous allons suivre pendant un jour et une nuit une poignée de personnages migrants venus d'Europe, en attente de leur billet d'entrée pour les États-Unis.

Dans cet espace entre deux mondes, ils n'auront plus de repères, en particulier celui de leur langue maternelle ; ce moment entre parenthèses leur permettra peut-être de vivre des moments qu'ils ne se seraient pas autorisés par le passé et qui ne sauraient exister dans leur futur.
Vous croiserez Donato et sa fille Emilia, lettrés et érudits italiens : le père se réfugiera dans les textes anciens, et la fille, peintre, dans l'éveil des sens dans les bras d'un homme qui lui serait normalement interdit.
Gabor, l'homme de la route qui veut fuir son clan, musicien violoniste, gitan qui voudra tout quitter pour Emilia et qui sera, pour celle-ci, le chemin qui lui permettra d'accepter le passage de l'ancien au nouveau monde.
Esther, l'Arménienne dont toute la famille a été exterminée, rêve d'inventer les nouvelles tenues des libres Américaines, retrouvera le verbe grâce à Emilia.
Hazel la prostituée qui prépare obstinément son changement d'existence devra renoncer à l'homme qu'elle aime, Gabor.

En face d'eux, Andrew, New-Yorkais depuis plusieurs générations, photographe, sera le miroir de leurs désespoirs et de leur passé et, tel un révélateur, réussira par le prisme de son appareil photo à capter ce qu'il n'aura pas pu vivre, ce qui le relie à ses ancêtres, et il leur ouvrira de son côté l'acceptation enfin du passage vers le nouveau monde.

Tous leurs doutes, leurs peurs, leurs fêlures, leurs aspirations vont se croiser, se choquer, s'entrechoquer, se frôler, se caresser pendant un jour et une nuit dans ce no man's land et cet espace-temps suspendu charnel et incandescent.

Dans un style d'une sensualité et d'une densité inouïes, entre prose et poésie, Jeanne Benameur, nous parle d'elle. 
Elle est en effet née en Algérie et a émigré en France, à l'âge de cinq ans et demi, avec sa famille en raison des violences liées à la guerre d'Algérie. 

Le silence, le passage d'un monde à l'autre trouveront refuge dans la passion amoureuse ou la passion artistique ; que ce soit la photographie, la littérature, la peinture, la musique : quels beaux remèdes au silence.
C'est un texte magnifique, lumineux et bouleversant 

Merci à Jeanne, Françoise N. et Bénédicte M.

Extraits : 
"La douleur qui n'est pas écrite n'a pas de forme, elle peut envahir tout l'air et on peut en être envahi simplement en respirant." 

"Il sait que la parole est contenue face aux étrangers, que chacun se blottit encore dans sa langue maternelle comme dans le premier vêtement du monde. La peau est livrée au ciel nouveau, à l’air nouveau. La parole on la préserve." 

"Son aliment contre la monotonie des jours d’enfance c’était les textes des anciens. Il avait appris à lire comme on se jette à l’eau, d’un coup, de tout son être, avec l’appétit de ceux qui savent que c’est là et seulement là qu’ils trouveront leur vie."

"Le violon joue et la musique vient les chercher. Oh juste se laisser porter d’une émotion à l’autre, voyager. Esther a levé la tête. Le violon ici, c’est la vie soudain qui essaie de se frayer un chemin. Le violon dit qu’émigrer c’est espérer encore.
Avec vaillance.
Avec la force de ceux qui n’ont plus rien que leur désir.
Le violon dit que le désir est tout. Tout. Et qu’avec le désir on peut vivre…"

"On ne peut pas raconter la puissance de la musique mais on peut la voir éclairer les corps épuisés. Gabor réveille l’ardeur et il joue sans s’arrêter"

LOLA GRUBER
Trois concerts
Éditions Phébus (janvier 2019)

Qu’est-ce qu’un bon livre ? Vaste question : un livre qui va vous émouvoir, vous faire sourire, rire, pleurer souffrir, un coup de poing, une caresse, une œuvre qui ne quittera plus ni votre âme ni votre cœur et que vous aurez envie de partager avec les autres ; il prendra également les couleurs de votre vie au moment auquel vous l’aurez lu : personnes autour de vous, lieu, humeur, mélancolie, joie, bonheur, tristesse mais à l'inverse imposera également une tonalité tout à fait particulière à ce que vous êtes en train de vivre. 
 
Les livres nous parlent de nous et sont un miroir conscient ou inconscient de nos réussites, de nos échecs, de nos aspirations, de nos amours, de nos pertes ; pendant un instant nous sommes ailleurs, plus loin, nous voyons plus grand, plus beau ; mais surtout cela nous permet de mettre en perspective à quel point la vie peut être belle no matter what ;
Je dédie cette rubrique à la ville d'Istanbul et à mon compagnon.

Née en 1972, Lola Gruber a publié "Douze histoires d'amour à faire soi-même" en 2005, suivi des "Pingouins dans la jungle"en 2009 et a mis sept ans pour écrire "Trois concerts".

Trois personnages, trois partitions, trois concerts. 

Clarisse Villain, 7 ans, surdouée, joue du violoncelle, elle entend tout, tout le temps, avec une seconde d'avance et est totalement inadaptée à la vie ; les mots se fraient difficilement un chemin vers elle mais la musique sera son premier langage comme une évidence.
Rémy Nevel est critique musical, médiatique et ambitieux ; il fera basculer le destin de Clarisse.
Viktor Sobolevitz, un des plus grands violoncellistes du monde, autrefois adulé puis devenu musicien maudit, s'est retiré de la scène et ne prend plus d'élèves. Il va pourtant finir par croiser le chemin de Clarisse, qui provoquera le hasard dès son plus jeune âge en devenant son élève et en partageant avec ce maître célèbre et misanthrope le même amour intransigeant de l'art. 
 
Entremêlant les "partitions" de ces trois personnages, Lola Gruber nous offre un roman d'initiation remarquable et bouleversant et nous livre aussi une réflexion sur notre soif de pureté et de reconnaissance.
 
Avec un style de narration à la deuxième personne du singulier, l'auteur tour à tour, s'adresse à ses trois personnages, aux caractères totalement différents et s'immisce dans leurs têtes et leurs âmes avec brio.
Ce livre se dévore comme un page turner, tournant les pages avec avidité, nous sommes séduits par la finesse des analyses et par un suspense redoutable.
 
Mais c'est avant tout une grande déclaration d'amour à la musique que nous livre l'auteur ; musique des mots, musique des maux, musique des notes ; et surtout une réflexion fine sur notre rapport à la vie à travers la musique celle qui se fait, se joue, se vit.
 
"Si vous laissez la musique vivre dans votre esprit, vous arriverez peut-être à sentir ce qui est juste." 
 
Je vous souhaite un magnifique et intense voyage musical. 

MICHEL LE BRIS
Pour l’amour des livres
Éditions Grasset (janvier 2019)

L’auteur de la "Beauté du Monde", du "Dictionnaire amoureux de l’explorateur", et du monumental "Kong", vient ici déclarer son Amour aux livres et à la littérature. C’est à l’hopital que Michel Le Bris décide d’écrire ce texte ; sortant de réanimation, sa vue brouillée, il réalise qu’il n’arrive plus à lire, ni à écrire.
"J’allais être un mort vivant"
 
À peine remis et guéri, il décide de faire une déclaration d’amour aux livres et écrit ce texte magnifique.
Puissance de la lecture sur un enfant solitaire, ode à la liberté que vous donnent les livres, remerciements à ses professeurs qui lui ont ouvert le chemin de l’imagination, son ouvrage nous donne l’appétence et la gourmandise des livres ; si vous ne l’êtes pas déjà il est impossible de ne pas le devenir après ce texte.

Michel Le Bris nous raconte sa vie depuis son enfance très pauvre à Plougasnou, en passant par son emprisonnement pendant 8 mois lors de sa période Maoiste, son entrée ratée à HEC, sa découverte des États-Unis, du communisme ; Fortement attaché à la mer son élément fondateur, il oscille toujours entre un ancrage profond et un attachement aux terres granitiques de son enfance et sa vie fictive traversée et sublimée par les mots.

"J’avais ce vacarme en moi, et il me semblait entendre, dans les livres un écho de ce que je ressentais"

Il écrit avoir, grâce à la littérature "respiré plus large", comme c’est beau, comme c’est vrai ! 

"J’ai toujours su que j’étais écrivain, pas que je le deviendrai, que je l’étais déjà ; car j’ai compris que je pouvais créer des mondes avec des mots et que c’est par cela que je tiendrais debout". 
Hugo, London, Stevenson, Conrad, Melville, Hammett traversent ce livre de part en part mais pas que… Michel Le Bris aime aussi le jazz (Miles Davis, John Coltrane…). La musique et les livres seront ses compagnons de route.
La lecture mais également la quête de livres est aussi un vrai plaisir ; ses visites des librairies du monde entier et sa chasse de livres nouveaux ou inconnus nourriront sa gourmandise sans fin.
 
"Ce contact à chaque fois singulier voilà ce que le libraire peut proposer d’unique, avec ceci... que nul site ne peut offrir, que l’on peut trouver ce que l’on ne cherche pas" 

Au début est le livre. Un livre. Celui qui fait basculer un enfant dans un autre monde et qui lui ouvre les portes du rêve. Pour Michel Le Bris ce fut "La Guerre du feu".

Extraits : 
"Je fus foudroyé à la première phrase... quelle entame ! comment dire cette sensation d’être pris, emporté dans ce voyage dont je crois bien ne pas être revenu"

"Lire c’est bien... posséder une bibliothèque c’est mieux... c’est une folie aussi une utopie un labyrinthe dans lequel on peut s’égarer." 

"Voilà bien longtemps qu'ils sont entrés en moi. Voici bien longtemps que je suis un des leurs. Et qu’entre nous s’est tissée une histoire qui pour moi fut belle et je souhaite à chacun qu’il en vive une semblable. Ils sont tous là près de moi qui m’attendent. Quand sera venu le temps de mon dernier livre, je m’éclipserai de ce monde pour les rejoindre. Et tout sera bien."

Enlivrez-vous, c’est magnifique !

FANNY WALLENDORF
L’appel
Éditions Finitude (janvier 2019)

ATTENTION PÉPITE
BIOGRAPHIE ROMANCÉE DE RICHARD FOSBURY

États-Unis, début des années 60 : c'est l'histoire de la vocation d'un jeune sportif de 14 ans, Richard : très grand pour son âge, il pratique, un peu par raison, le saut en hauteur.
Au lieu de passer la barre en ciseaux, comme tout le monde, et parce qu'il plafonne depuis plus de 4 ans à la même hauteur, il la passe sur le dos et invente ainsi, sans le savoir, malgré lui, et n'obéissant qu'à son instinct, le saut Fosbury à qui il donnera son nom ; il révolutionnera ainsi cette discipline pour l'emmener jusqu'aux jeux olympiques d'été de Mexico de 1968 et à la médaille d'or à 2,24 m.
Il va créer ainsi le mouvement parfait, et l’accomplissement de sa vie.
 
Ce livre est formidable et fascinant, car au-delà du sport et de l'anecdote, il nous parle de nous et de notre capacité ou non, à nous dépasser, dans un monde ou tout peut nous paraître hostile, complexe et impossible.
 
Ce sont la répétition, l'acharnement, une volonté à toutes épreuves, la fureur qui le poussent à se dépasser inlassablement envers et contre tous les préjugés de tous : coachs, presse, amis, famille. Mais c'est surtout l'envie de vaincre et de gagner irrépressible qui vous rend quasiment invincible ; le monde est à portée de main quand nous mettons tout en œuvre pour y arriver et que nous ne nous laissons pas influencer.
 
Il parle des sensations qui fusent sous sa peau, de sa présence totale au monde, de sa fusion avec l'instant ; du fait qu'il n'a aucun truc, aucune méthode mais qu'il ne saurait faire autrement : c'est l'envie qui le meut ; c'est tout ; c'est TOUT !
 
Pour un premier roman quelle très belle réussite, quelle maîtrise : ne vous arrêtez surtout pas à la performance sportive, que vous aimiez le sport ou non, ce livre vous embarque loin très loin avec le ciel pour seule limite.

Comment être original dans un monde conformiste ? 
Un roman sur le corps, le plaisir du mouvement et la concentration, magnifiquement lumineux. Une ode à la vie, à la fantaisie, à la persévérance, vous ressortirez émerveillés de cette histoire originale, forte.

FRANCK BOUYSSE
Né d’aucune femme
Éditions La Manufacture des livres (janvier 2019)

Franck Bouysse, dont je vous ai déjà parlé avec le remarquable "Glaise" (cliquez ici), nous revient avec un véritable bijou, oscillant tout à la fois entre roman noir, thriller, roman psychologique, roman d'amour et roman historique.
 
Autour du destin d'une femme, Rose, dont l'histoire sera racontée tour à tour par les différents personnages de sa vie, il tisse avec un talent de brodeuse une histoire et un destin exceptionnels.
Il saura ainsi nous dévoiler très subtilement et avec une tension croissante, l'histoire tragique et magnifique de Rose.

Appelé à bénir le corps d'une femme internée dans un asile, de force, un curé récupère les carnets que Rose a laissés, et dans lesquels elle raconte son histoire.
Vendue à 14 ans par son père comme servante au Maître du château, elle entre dans une spirale d'horreur absolue ; Les secrets douloureux et dramatiques nous sont dévoilés petit à petit par chacun des protagonistes qui prennent voix à tour de rôle.
 
Je ne vais pas dévoiler ici le cœur du livre, mais sachez que malgré un univers dur, âpre et parfois très sombre, l'écriture délicate, et virtuose de l'auteur réussit à faire cohabiter avec maestria, l'horreur et l'abjection les plus extrêmes, avec une poésie et une beauté rares, qui font de ce texte "in fine" une œuvre plongée au cœur du mal, flamboyante, magnifique et rédemptrice.
 
Écrit à l'écorché, ce livre ne vous quittera plus. Attention c'est un choc et un très grand livre.
 
Extrait :
"Les mots, j'ai appris à les aimer tous, les simples et les compliqués que je lisais dans le journal du maître, ceux que je ne comprends pas toujours et que j'aime quand même, juste capable de m'emmener ailleurs, de me faire voyager en faisant taire ce qu'ils sont dans le ventre, pour faire place à quelque chose de supérieur qui est du rêve. (...) Ils sont de la nourriture pour ce qui s'envolera de mon corps quand je serai morte, ma musique à moi. C'est peut-être ce qu'on appelle une âme."

PHILIPPE LANÇON
Le Lambeau
Gallimard (avril 2018)

Aujourd’hui, exceptionnellement, je vais jouer humblement le rôle de passeur ; plus rien ne compte ni la musique, ni la littérature ni l’art quels qu’en soient les supports.
Je m’incline avec un grand respect et une émotion sans fin devant un roman bouleversant et immense, un véritable hommage à la vie, la survie face à l’horreur du terrorisme.
 
Cet homme s’appelle Philippe Lançon.
Philippe Lançon est journaliste littéraire au quotidien Libération et chroniqueur à Charlie Hebdo ; le 7 janvier 2015 il se rend comme chaque mercredi à la conférence de rédaction de Charlie Hebdo ; il sera fauché par les balles et une partie de sa mâchoire sera arrachée ; sa vie d’avant disparaîtra avec elle ; Il sera littéralement relevé d’entre les morts.
 
Témoin de cet attentat atroce et de la mort de ses compagnons de Charlie Hebdo, il brosse dans ce roman un témoignage poignant de sa vie d’après…
"Désormais celui qui n’était pas tout fait mort devra cohabiter avec celui qui allait devoir survivre".
 
Ce récit mêle l’intime et le tragique avec maestria, l’écriture et le récit ne nous épargneront pas mais c’est un texte d’une grande beauté ; récit d’une lente reconstruction physique et mentale (deux années d’Hôpital, 17 opérations) nous en ressortons groggys, éblouis, et émerveillés ; oui émerveillés devant la beauté du texte et des émotions incroyables qu’il suscite sans colère aucune et sans que jamais le texte ne soit le prétexte à une tribune politique ;

Il sera porté lors de sa "reconstruction" en partie grâce à la musique et Bach en particulier qui irrigue littéralement le livre à maintes reprises telle une source vive.

Une fois ce livre refermé vous ne pourrez plus jamais l’oublier ; c’est dur, âpre, douloureux mais c’est aussi ça la littérature ; et puis au bout du compte la littérature et la musique n’ont-elles pas pour vertu aussi de "réparer les vivants".

LIONEL DUROY
Eugenia 
Éditions Julliard (mars 2018)

En 1935, l'écrivain juif roumain Mihail Sebastian donne une conférence à l'université de Jassy, capitale culturelle, riche, cosmopolite et raffinée, de la Roumanie. Lorsqu'il est violemment agressé par des étudiants antisémites, seule une jeune femme, Eugénia, prend sa défense. Cette haine viscérale des juifs, Eugénia doit encore la combattre au sein de sa propre famille. L'un de ses frères occupera bientôt de hautes responsabilités au sein de la Garde de Fer, milice pro-hitlérienne qui s'apprête à exiler le roi pour sceller une alliance avec l'Allemagne.

Face au péril qui guette son pays, Eugénia devient journaliste et s'installe à Bucarest, où elle retrouve Mihail, rongé de l'intérieur par la menace d'une guerre imminente. Eugénia s'offre à lui sans réserve, bien qu'elle doive partager le cœur de Mihail avec une autre femme, Leny, dont les extravagances le distraient parfois de son incurable mélancolie. De retour à Jassy, Eugénia s'intéresse au sort des juifs, qu'une campagne de calomnie associe à des espions soviétiques. Aucune de ses tentatives pour alerter les autorités ne suffiront à empêcher l'effroyable pogrom de juin 1941, savamment préparé par les miliciens mais perpétré en grande partie par des civils, amis, voisins, simples commerçants. Treize mille personnes trouveront la mort en quelques jours. Dès lors, à défaut de pouvoir sauver Mihail de lui-même, Eugénia n'aura plus qu'une obsession : lutter pour la liberté et approcher les bourreaux anonymes pour comprendre l'origine du mal...

PHILIPPE LE GUILLOU
La Route de la Mer
Gallimard (février 2018)
 
Un frère raconte sa sœur qui vient de disparaître, grande Pianiste spécialiste de Liszt, une gémellité mystérieuse et bouleversante, des paysages sauvages, la mer, l’Art, l’Amour et la Musique...
 
Je vous invite avec Philipe le Guillou aux délices d’une très belle écriture ciselée et raffinée, d’un univers délicat et tourmenté dans le même temps, à un récit riche, dense et mélancolique porté de bout en bout par une musique omniprésente.
 
Sur les bords de la Tamise où il est venu installer ses dernières sculptures, un homme écoute la Vallée d'Obermann de Liszt et se souvient de sa sœur qu’il vient de perdre, la pianiste Anna Horberer. Il revoit sa vie, dans l'ombre de cette femme brillante, très tôt éprise de piano, folle de Liszt et habitée avant tout par sa vocation d'artiste. Il revoit les lieux d'enfance et retrace l'itinéraire de sa sœur, crainte et admirée, une sœur qui savait capter les regards, les affections et qui lui a tout pris.
 
Ce roman est l’histoire d’une amitié fraternelle sans ambiguïté mais dont il est difficile de s’affranchir. Femme brillante, pianiste surdouée, elle se brûlera dans son art et les excès.
Professeur taciturne, il sublimera sa réserve et son homosexualité dans la sculpture sans jamais perdre de vue la carrière de sa sœur. Leurs vies sont liées, à travers la famille, l’enfance, l’art, la vie politique, les lieux, les paysages et la mer qui hante les pages de ce livre avec mélancolie et une grâce ineffable.
« L’on prétend que certains écrivains écrivent toujours le même livre. Il s’applique bien à Philippe Le Guillou qui, d’un roman à l’autre, déplace les pièces d’un même puzzle, composant des tableaux toujours différents à partir de motifs toujours identiques. Consciemment ou non, cette Route de la mer se structure autour d’une série d’oppositions sous-jacentes : le matériel et l’immatériel, l’art et la politique, la terre et l’eau, Le Havre et Paris, etc. »
Et bien tant mieux c’est ce que l’on appelle un écrivain et c’est pour notre plus grand bonheur !
Je vous invite vivement à lire du même auteur le splendide "Bateau brume".

MARCELINE LORIDAN-IVENS
L’amour après
Éditions Grasset (janvier 2018)

Comment aimer, s’abandonner, désirer, jouir, quand on a été déportée à quinze ans ?
Retrouvant à quatre-vingt-neuf ans sa "valise d’amour", trésor vivant des lettres échangées avec les hommes de sa vie, Marceline Loridan-Ivens se souvient…

Un récit merveilleusement libre sur l’amour et la sensualité.
 
Peut-on résumer ce livre, peut-on même en faire une critique, je ne le pense pas; nous pouvons juste nous incliner devant le témoignage bouleversant de cette femme hors du commun née en 1928, déportée à Auschwitz-Birkenau avec son père, actrice, scénariste, réalisatrice. Après le si touchant "Et tu n'es pas revenu", dans lequel elle racontait la déportation et la mort de son père, la magnifique petite femme aux cheveux de feu nous conte avec tendresse et crudité la terreur de jouir, après l’expérience des camps, de son corps torturé et avili par les SS. Avec ce témoignage rare, tantôt pudique, souvent provocateur, Marceline nous livre un ouvrage essentiel et bouleversant. 

HÉLÈNE GESTERN
L'Odeur de la forêt
Éditions Arléa (août 2016)

Gros coup de cœur.

C'est merveilleux la découverte d'un nouvel auteur, de ses écrits, de son univers. Avec une très belle écriture classique et élégante, Hélène Gestern met au centre de son œuvre la photo, des échanges épistolaires et des intrigues captivantes.

Elisabeth Bathori, historienne de la photographie, essaye de faire son deuil de l'homme qu'elle a aimé follement. Elle récupère par hasard les lettres et l’album d’Alban de Willecot. Lieutenant mort au front en 1917, ami du grand poète, Anatole Massis, avec lequel il a entretenu une abondante correspondance. 

Très vite, Elisabeth se rend compte de la valeur inestimable de ce fond et démarre un travail d'archivage, de déchiffrage et de documentation sur cette période et sur ces personnes.  

Elle commence alors un long chemin au cours duquel deux enquêtes se chevauchent sur trois époques (la première guerre mondiale, la seconde dans le milieu de la Résistance, et la période contemporaine, en France et à Lisbonne) : comment et où retrouver les lettres d'Anatole Massis en réponse à Alban, quel rôle la jeune Diane fiancée d'Alban joue -t-elle dans ce trio ?
Si vous aimez les récits subtils, intimistes, la complexité des liens amoureux, les grandes histoires d'amour, le poids écrasant ou libérateur du passé, les rebondissements à n'en plus finir, les intrigues à tiroirs prenantes, la petite histoire dans la grande histoire, alors ce livre est pour vous.

Hélène Gestern travaille comme un maître du thriller semant çà et là des indices, n'hésitant pas à nous offrir des rebondissements inattendus, et nous mène par le bout du nez au galop au moyen de chapitres courts, entrecoupés de lettres, de cartes postales ou d'extraits d'un mystérieux journal intime retrouvé au Portugal.

 Un roman gigogne riche, dense, grave, et magnifique dont vous ne sortirez pas indemnes. 

 "L’Odeur de la forêt est une traversée de la perte, à la recherche des histoires de disparus, avalés par la guerre, le temps, le silence. Mais il célèbre aussi la force inattendue de l’amour et de la mémoire, lorsqu’il s’agit d’éclairer le devenir de leurs traces : celles qui éclairent, mais aussi dévorent les vivants."

HÉLÈNE GESTERN
Eux sur la photo
Éditions Arléa (août 2011)

Me revoilà avec cette autrice dont je vous ai parlé avec gourmandise et émoi pour le merveilleux "L'Odeur de la forêt" (cliquez ici) publié postérieurement à "Eux sur la photo".

Hélène Gestern emploie déjà les mêmes ressorts littéraires c'est à dire : un roman épistolaire entrecoupé de la description de photos se raccordant aux écrits, avec un rythme trépident, une très belle écriture et comme toujours un sens du mystère et du suspense parfaitement maîtrisés.

Hélène cherche la vérité sur sa mère, morte lorsqu’elle avait trois ans. 
Elle décide de faire une petite annonce avec une photographie retrouvée dans des papiers de famille, qui montre une jeune femme heureuse et insouciante, entourée de deux hommes qu’Hélène ne connaît pas. 
Stéphane, scientifique vivant en Angleterre, ayant reconnu son père sur la photo va lui répondre. Commence alors une longue correspondance pendant une année, parsemée d’indices, d’abord ténus, puis plus troublants. 
Ils vont ensemble remonter le temps, dépouiller leurs archives, et se trouver en reconstruisant leur histoire familiale.
Les histoires se recoupent, se répondent pour révéler une trouble vérité.

Une magnifique réflexion sur les secrets de famille et la mémoire particulière que fixe la photographie. 
Au-delà du temps, réussiront- ils et pourront-ils poursuivre l'histoire d'amour de leurs parents ?

Un très beau moment de lecture.

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